La mission canadienne en Afghanistan ou
La perpétuation de coutumes arriérées
par Jean-Pierre Martel   (écrit en octobre 2006, retouché en juillet 2009)

Guerre vs occupation militaire

On doit distinguer la guerre en Afghanistan de l’occupation militaire de ce pays. Dans les années qui suivirent la fin de la 2e guerre mondiale, les forces alliées ont occupé l’Allemagne et le Japon, mais pas leurs alliés qu’étaient l’Italie et l’Espagne (si ce n’est que brièvement). De la même manière, après guerre du Golfe de 1990 — dont l’objectif était la libération du Koweït — la coalition américaine n’a pas occupé militairement Irak. Donc, guerre et occupation militaire ne vont pas nécessairement de pair.

La guerre en Afghanistan faisait suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Ceux-ci constituaient une déclaration de guerre implicite contre les États-Unis. La réplique américaine, soit la guerre en Afghanistan, se justifiait donc par la légitime défense. En vertu du traité de l’OTAN, tous les signataires (dont le Canada) étaient tenus d’y participer. Cette guerre visait à la destruction des camps d’entraînement d’Al-Quaîda en Afghanistan et au renversement du régime complice des Talibans. Cette guerre a atteint ses deux objectifs et est chose du passé.

Par contre, l’occupation militaire de ce pays vise à prévenir le retour au pouvoir des Talibans. Cette occupation pourrait durer des années, des décennies ou même, théoriquement, des siècles puisqu’on ne dispose d’aucun outil qui permette de mesurer à partir de quand les Afghans cesseront définitivement de souhaiter le retour au pouvoir des Talibans. Plutôt que de détruire, à l’aide de missile de croisière par exemple, les camps d’entraînement qui pourraient réapparaître en Afghanistan, les États-Unis ont choisi une solution plus coûteuse qu’est l’occupation perpétuelle de ce pays. Du strict point de vue de l’analyse des coûts-bénéfices, cette occupation est une aberration.

Depuis que l’Afghanistan est dirigé par un gouvernement élu, on ne peut parler d'« occupation » militaire puisque les soldats étrangers  présents le sont à la demande des nouveaux dirigeants du pays. Cette présence militaire se justifie donc en vertu du Droit international. Toutefois, rappelons que la guerre de Corée s’est soldée par la défaite de la coalition internationale qui représentait le Droit international. Comme quoi cela ne garantit pas toujours la victoire. Ici, nos médias ont tendance à parler de la « mission » canadienne en Afghanistan.

Démocratie et liberté

La démocratie est le régime politique où le peuple est souverain. Concrètement, on juge démocratiques les pays où le peuple est libre de choisir ses dirigeants. Toutefois, il ne peut y avoir de véritable démocratie sans que d’autres libertés, encore plus fondamentales, soient respectées.

Les femmes afghanes doivent porter un vêtement qui est une entrave à leur reconnaissance publique. Elles sont l’objet de toute une série de crimes, toujours impunis, et leur vie est régie par un encadrement juridique qui les place au rang de subalternes par rapport aux hommes. À titre d'exemple, à chaque année, une vingtaine de jeunes Afghanes s'immolent par le feu, désespérées d'être forcées d'épouser un mari dont elles ne veulent pas. Pour être clair, elles vivent dans une société dont les coutumes arriérées sont une honte pour l’Humanité.

En supposant que des femmes réussiraient à se qualifier comme candidates à une élection, comment des électeurs illettrés pourraient-ils souhaiter être dirigés par des candidates masquées? Imagine-t-on les États-Unis dirigés par Zorro? De plus, comment les femmes pourraient-elles exercer leur droit de vote quand il leur faut le consentement de leur maître absolu pour quitter le logis?

Dans un tel contexte, que fait le Canada? Vraiment peu de chose. Les médias canadiens rapportent parfois le rôle de notre pays dans la construction d’infrastructures, en particulier d’écoles pour des femmes. En réalité, les femmes afghanes qui ont accès à l’école sont une toute petite minorité, concentrée essentiellement à Kaboul et ses environs immédiats. Ces écoles sont toujours clandestines en raison du risque qu'encourrent les professeurs d'être tués par les Talibans. Si bien que la majorité des Afghanes ignorent même leur existence.

Le peuple afghan est tellement peu attaché à la démocratie que si nos soldats voulaient changer les coutumes arriérées de ce pays — ce que les Russes ont tenté de faire, sans succès — les Afghans se retourneraient massivement contre la présence militaire étrangère dans leur pays et soutiendraient alors les Talibans. Par conséquent, le Canada évite de faire des vagues et n'a aucune ambition de « déniaiser » ce pays. Nos soldats servent donc à perpétuer le statu quo illustré par la répression dont sont l’objet les Afghanes.

Dès que les étrangers auront quitté le pays, les Afghans s'empresseront d'oublier la contribution insignifiante du Canada à l'évolution de leur pays : les insurgés seront présentés comme des patriotes et le régime en place comme l'équivalent du régime Pétain sous l'occupation nazie en France. Les soldats canadiens qui y auront laissé leur peau seront morts en vain.

L’erreur des Américains au Vietnam, c’est d’y avoir défendu la démocratie d’un peuple habitué à ce que des étrangers (des Français d’abord, puis des Américains par la suite) versent leur sang pour leur bien. La pénible leçon que les Canadiens sont en train d’apprendre en Afghanistan, c’est que si les Afghans ne sont pas prêts à payer le prix de la liberté de leur propre sang, c’est qu’ils ne la méritent pas.